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Le prânâyâma (prán'áyáma) dans la philosophie du yoga
translittération du sanscrit

"Qu'est-ce que le sens "vital" (prán'a-bodha) ? Comme je le disais, c'est seulement lorsque la faculté - ou les nerfs - qui accepte ou rejette les ondes sensibles (tanmátra) met un objet en contact avec le plan de retenue (sthira-bhúmi) du psychisme (citta) que l'on ne perçoit cet objet. Toutes les forces de ce monde se révèlent à nous dans ce plan de retenue (sthira-bhúmi) dynamique.

Pour que nous puissions saisir ou rejeter une onde des éléments, la vibration qui nous la transmet ne doit pas être continue, car cette permanence exclurait la possibilité même de percevoir. Si la vue saisissait les ondes de l'apparence de façon ininterrompue, sans variation, ou si ces ondes étaient elles-mêmes continues/ininterrompues, les objets devant être "détenus" par la force vitale ne pourraient pas, à cause de leur manque de séparation, se faire une place sur le plan de retenue du psychisme.

Le clignement de nos yeux produit une division dans ces ondes, et leur écoulement aussi est entrecoupé de pauses. L'énergie en mouvement n'est pas continue mais coule en petits sauts précis. C'est pourquoi les Ecritures qualifient le courant d'énergie de pulsatif.
Ceci s'applique également à tout courant d'ondes-des-éléments (tanmátra). L'on reçoit ou saisit ces courants ou écoulements dans le plan de retenue du psychisme (citta), pendant leur moment de contraction, grâce à l'énergie vitale. De ce fait, plus on peut créer de calme dans l'énergie vitale et plus forte et sûre sera notre réceptivité.

Dans un esprit calme associé à un corps et des sens calmes, la capacité réceptrice de l'énergie vitale peut bien s'exprimer, tandis que lors de l'agitation physique ou mentale, la capacité de rétention de la force vitale diminue fortement. C'est ainsi qu'un enfant agité ne peut mémoriser ses leçons - il ne peut les garder dans cette énergie vitale. Un jeune à l'esprit inconstant peut gagner sa vie par un travail pénible mais ne peut endosser de sérieuses responsabilités.

Car en fait les choses existent puis n'existent plus, perpétuellement.
Au cours de l'agitation mentale, on ne comprend pas ce qui est subtil.
(Bhágavata-Purán'a*)

C'est seulement grâce à cette immobilité intermittente se produisant au cours du mouvement [vibratoire, pulsatif], qu'on peut comprendre quelque chose. Si l'on est agité, on ne peut ressentir un objet dans sa juste perspective. On peut cependant en acquérir au moins un savoir vague grâce au calme relatif qui demeure encore dans l'agitation.
Une personne confuse et désorientée est dans cet état.Plus l'immobilité intermittente est courte, plus grande est l'agitation et donc la confusion.
Vous voyez ainsi que toute force, pour qu'elle soit reçue ou refusée, doit être pulsative. Autrement, elle est hors du champ de perception ou de compréhension, et on ne peut pas la saisir par les sens ou la pensée. La période de contraction/pause du mouvement vibratoire, de la pulsation, est le moment opportun pour la réception d'une sensation ou d'une idée. C'est ainsi que plus l'énergie vitale est calme et maîtrisée, plus forte et pénétrante est la réceptivité. Voilà pourquoi les pratiquants se donnent du mal pour garder la maîtrise et le contrôle de leur énergie vitale.

Deux techniques spirituelles contrôlent l'énergie vitale : celle de la pratique maîtrisée du souffle/l'allongement du souffle (prán'áyáma ) et celle de la méditation-concentration (dháran'á).

Le prânâyâma est ce qui soumet l'énergie vitale.**

Arrivé là, vient le prânâyâma qui consiste en une suspension du mouvement de l'inspiration et de l'expiration.
(Yoga sûtra)
***

J'ai déjà dit que le mouvement de chaque force de ce monde, qu'elle soit initiale ou réactionnelle, doit être pulsatif, [vibratoire]. La période de contraction, de pause, est l'état de fin de la fonction vitale [respiratoire]. Lorsque cet état de pause s'établit de façon permanente (dans un corps individuel), les fonctions vitales cessent totalement ; c'est la mort. Dans cet état, le psychisme et les autres organes [ou facultés] sont inactifs et on ne peut donc rien percevoir ou retenir durant cette longue pause.

Le prán'áyáma [l'allongement du souffle] contrôle l'énergie vitale - il vise par l'agrandissement de la période de pause à optimiser à son maximum la capacité de concentration et de réceptivité. L'expansion vitale du pratiquant du prán'áyáma est toujours pulsative, la seule différence est que la période de pause est comparativement longue.


Dans la concentration introspective (dháran'á), c'est le maintien du plan de retenue du psychisme sur l'objet de la concentration qui force la fonction vitale à prolonger progressivement la durée de la pause. Dans cette situation les ondes se manifestant diminuent également. C'est ainsi que lorsqu'on médite avec une attention profonde sur quelque chose, le mouvement de ses fonctions vitales s'apaise peu à peu grâce au maintien prolongé des ondes de forme de l'objet réfléchi.

Il y a aussi des abus du prán'áyáma. Si pendant la période de contraction (de pause) induite par le prán'áyáma l'on se laisse tout simplement aller à l'étalage de sa propre petite vanité au lieu d'utiliser cette force de contraction pour engendrer de façon durable en soi une pensée de Dieu (Brahma-bháva), c'est-à-dire si l'on se voue à l'expression de son propre petit moi, on tend progressivement vers le grossier. Même sans pratiquer le prán'áyáma, si l'on pousse son petit moi avec ardeur vers les plaisirs de ce monde, on fait face au même destin. Le prán'áyáma est extrêmement nuisible - funeste et dévastateur - pour ceux qui ne sont pas habités par la pensée de Dieu (brahma-bháva).


C'est l'expérience commune, lorsqu'on s'absorbe dans un travail, de voir sa capacité de concentration augmenter et le mouvement de son souffle se stabiliser et se régulariser. Tandis que lorsqu'on se laisse aller à une action sensuelle ou grossière, le souffle s'agite et devient irrégulier ; on perd alors sa capacité de jugement, de réflexion ou de compréhension.


L'agitation du corps engendre celle de l'énergie vitale. C'est pourquoi toute technique de concentration doit se pratiquer dans une position immobile (sthirásana) de sorte que la stabilisation de l'énergie vitale (prán'áyáma) et la contemplation (dhyána) puissent progresser de concert. Le mouvement répété du corps pendant la méditation - se coucher, s'asseoir, se lever et ainsi de suite - nuit au plus haut point à la concentration mentale. Une telle pratique va l'encontre du but même de la méditation spirituelle."

Notes:

* Nityadá hy aunga bhútáni bhavanti na bhavanti ca, Kálenálaks'ya-vegena súks'matvát tan na drshyate.
(Bhágavata-Purán'a 11.22.43)

**Prán'án yamayaty es'ah prán'áyámah.

***Tasmin sati, shvása-prashvásayor gati-vicchedah prán'áyámah. (Patañjali, Yoga sûtra, II, 49)

Extrait de La Spiritualité de la Katha Oupanishad, Shrii Shrii Ánandamúrti, collection la science sacré des Védas, tome II, Éditions Ánanda Márga, la Voie de la Félicité, France, 2016.

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